VERMERSCH (Eugène), écrivain et journaliste polémique (1845-1878), l’un des ardents défenseurs de la Commune.
Auteur de nombreux opuscules révolutionnaires (La Dictature - Le Droit au vol - La Force - La Grêve - L’Infamie humaine, etc...). Son poème Les Incendiaires (Imprimé à Londres en 1871) eut un grand retentissement et souleva des clameurs dans toute la presse d’époque. Après la révolution de 1870 il fit partie de la
rédaction du Cri du Peuple et fonda le Père Duchêne (7 mars 1871), pastiche de la feuille du même nom rédigée par Hébert en 1793.
Manuscrit autographe signé. 3 pp. in-4. Long et beau texte d’une fine
écriture, énergique défense de l’ouvrage d’Adolphe Belot “Mademoiselle Giraud, ma femme” (à Paris chez Dentu, avec préface d’Emile Zola,
1870, ouvrage ayant obtenu un vis succès d’édition mais considéré par beaucoup comme obscène et immoral.) Il s’agit là probablement du manuscrit original d’un article de critique littéraire,
avec quelques rares ratures et corrections. (Archives JGD)
Le livre, vous savez ce qu’il est : tout le monde l’a lu, il
est dans toutes les mains, car il a eu sa chance et la gloire d’éblouir les fanges de la critique, de faire monter le rouge aux joues des bourgeois et de chatouiller la curiosité des profanes. Ce
n’est point, comme l’ont voulu répéter ceux qui en ont parlé, une réédition, revue et augmentée, de quelques scènes déjà connues - comme les folies amoureuses de Melle de Maupin, ou les
perversités voilées de la Fille aux yeux d’or, ou même les raffinements languissants et moites de la Religieuse de Diderot - Non, il y a ici quelque chose de plus vivant, de plus vibrant, de plus
chaud, de plus coloré, et si je puis dire, de plus criminellement saisissant. Théophile Gautier, Balzac, Diderot n’avaient porté leur étude que sur des types spéciaux, exceptionnels, anormaux,
sur une aventurière, sur une comtesse romantique au sang brulé comme les nerfs, sur une recluse hystérique et dépaysée dans son couvent. Ici ce n’est point cela..”
Ici ce sont les petits mystères de la vie bourgeoise dévoilée, c'est un tableau
sincère et vécu de cette passion grandissante d'heure en heure, et tantôt victorieuse, qui correspond bien à l'organisme de ce siècle malsain et vicié, ridicule et terrible, énervé et farouche,
et dont l'âme, après avoir fait par delà les mers un dévôt pèlerinage à Caprée et à Lesbos, s'en vient s'abattre sur Paris, les yeux morts et les ailes pendantes, et mêlent aux rales de son
agonie le hoquet de ses pamoisons.
Ah! je conçois qu'il ait, ce livre, sous le nom d'honnêtes susceptibilités, éveillé
les colères orgueilleuses… Je conçois que ce temps ait été exaspéré de se voir présenter le miroir enchanté qui accuse minutieusement ses défauts, troque son âme dans ses yeux et traine sur ses
lèvres la pensée de son cœur… Il semble que l'auteur soit (un mot incertain) de ces sacrilèges que du hasard, s'introduisant dans le temple d'Eleusis
et qui en dévoilaient les rites obscurs et charmants , certes, il faut le poursuivre avec les torches étincelantes de la vengeance, ce blasphémateur de la Vénus inféconde !... Et la critique n'y
a pas manqué. A voir l'ensemble avec lequel elle a donné nous croirions qu'elle a plaidé pro domo
sua, si nous ne connaissions pas ses bévues journalières, l'exquise myopie dont elle s'honore et la brièveté de son….. qui ne lui permet même pas l'emploi des… (quelques mots
incertains)
Et pourtant quoi de plus vraiment actuel et de plus absolument contemporain que
cette aventure de Mme de Blangy et de Paul Giraud ?... C'est de l'histoire! …Et de l'histoire exacte et précise de la minute présente!... C'est une peinture ayant la scrupuleuse fidélité d'une
photographie!...Il faudrait, pour le nier, être doué d'une naïveté par trop imberbe!... Que de fois ne nous a-t-on point glissé à l'oreille de ces récits, d'une authenticité troublante, qui,
pareils à des guides perfides conduisaient nos imaginations jusque dans cette ile embrasée, où Mme de Blangy avait planté la tente de pourpre ténébreuse de sa fantaisie?... Que de fois à nous
autres hommes, des échos ne nous sont-ils point venus caressants et inquiétants, du pays phosphorique et mortel où Sapho expirant laissa tomber sa lyre de feu!... Non!...
Les grandes Dames Romaines, dans la chair desquelles Juvinal et Martial ont enfoncé leurs
aiguillons, sont vivantes encore et en bien des endroits, aux courses, aux Italiens, à l’Opéra, aux eaux, partout nous avons contemplé, face à face, leurs avatars !... Non ! Vous n’êtes point mortes, grandes abbesses dont le blason princier se couvrait de poussière dans l’ombre des abbayes du Moyen-Âge, non
vous n'êtes point mortes, et voici que chaque jour nous condoyons (côtoyons?) vos filles, vos pauvres filles maladives, à qui vous avez légué le testament de vos ardeurs et de vos
souffrances!
Non frèles et défaillantes amoureuses du dix-huitième siècle, votre souvenir n'est point enterré
dans la poudre de vos boudoirs, vos ombres tourmentées ne sont point à tout jamais condamnées à se rouler sur les profonds tapis de vos retraits (?) mystérieux
!... Relevez-vous, lesbiennes Romaines, nonnes maudites, petites maitresses, et voyez si
ce temps a quelque chose à envier au vôtre !
Non!... Nous vous parlons bien, et c'est pour cela que ce livre a un grand mérite
qu'on ne peut lui méconnaître: celui de l'observation. L'auteur a pris son
couple dans la bourgeoisie, dans la moyenne, pour être plus également près des classes extrêmes, d l'aristocratie et du menu peuple. Et en ceci encore il a bien fait. De la sorte, son œuvre sera accessible à tous et à toutes. Que
prouvent les pusillanimités de la critique!...Et qu'importe après tout que cette critique soit si timorée quand les mœurs sont si téméraires?...Nous
crierons toujours pour nous = à bas les masques!... Et nous soufflerons sur les bulles de savon de la vertu de ce siècle!... Nous en avons le droit et le devoir, car nous avons éternellement
présente à l'esprit la parole de Proudhon = La lâcheté des consciences vient de la lâcheté des amours, et c'est pour cela que nous approuvons Mr. Belot, hautement, sans détours, sans flatterie
comme sans crainte!... Eh quoi!... la passion qu'il décrit est partout, timide ou hautaine, insinuante et impérieuse, et il faudrait n'en point parler!... Paris est en proie à l'embrasement
qu'elle développe, et nous voyons les langues de feu de cet incendie se glisser sous la porte du boudoir des ambassades, lécher les vitres des chambres du quartier Latin, et vous voudriez qu'on
en parlat point!... On se croit revenu au temps où florissait Mme de Polignac et Melle de Lamballe et nous serions obligés de garder un silence imprudent!... Allons donc!... Laissez-nous donc
tranquilles!... Nous voulons parler, et nous parlons!... C'est ce relâchement des mœurs qui produit cet énervement des courages, et la servitude des sens engendre l'esclavage des âmes. Pourquoi
donc puisque nous la connaissons ne la découvririons-nous pas, cette
pernicieuse conspiration contre nous autres hommes, au grand jour, sans scrupule et sans pitié, devant tout le peuple assemblé!...
(... ) à bas les masques !...(...) Eh quoi ! la passion qu’il décrit est partout
(... ) et il faudrait n’en point parler!... (...) Laissez-nous donc tranquille!... Nous voulons parler et nous parlons.... (...) Aux hypocrites et aux niais qui nous accusent d’immoralité quand
nous faisons purement et simplement notre devoir, nous répondons ceci que : nous sommes les médecins de notre honneur et de notre liberté !”
(Emile Zola lui-même écrira dans sa préface : “Mr. Belot n’a rien appris à
personne, n’a troublé aucune innocence, en racontant la liaison monstrueuse de deux anciennes amies de couvent. Cette histoire-là court notre société gâtée jusqu’aux moelles. Le crime de l’auteur
est simplement d’avoir troublé la quiétude des gens qui préféraient se raconter l’histoire en question entre deux portes, à la voir circuler librement avec toutes ses conséquences vengeresses
(...) Cesser de cacher son livre et mettez-le sur toutes vos tables comme les pères y mettaient les verges dont ils fouettaient leurs enfants. Et, si
vous avez des filles, que votre femme lise ce livre avant de se séparer de ces chères créatures et de les envoyer au couvent...”
Extrait de "Melle
GIRAUD MA FEMME" (page 240 )
« Peu
à peu, on se lie, et on
arrive à aimer de toute son âme
celle qui la première vous a témoigné un
peu de sympathie, lorsque toutes vous traitaient encore en étrangère. Il est si facile de faire la conquête d’un cœur de quatorze ans ! il
se livre avec tant d’abandon et il
est si joyeux de se livrer ! Oh ! si c’était un homme qui
vous disait : Quelle jolie taille vous avez ! j’adore vos yeux, vos
mains sont charmantes, laissez-moi les admirer ! d’instinct on rougirait, on se sauverait
bien vite pour ne pas entendre de tels
propos. Mais c’est une femme qui parle,
une jeune fille comme vous ; on l’écoute sans se troubler, souvent avec plaisir, et on lui rend des
compliments en échange des siens.
De compliments en compliments et de confidences
en confidences, votre compagne prend de l’influence sur
votre esprit ; elle est au couvent depuis plusieurs années, vous y
êtes seulement depuis un mois ou deux ;
elle en connaît tous les détours et elle
vous les fait connaître ; elle est en même
temps plus faite, plus formée, plus expérimentée que vous ; elle
met son expérience à votre service, et comme vous êtes à un âge où l’on ne demande qu’à s’instruire, vous écoutez.. Bientôt ce n’est plus seulement
de l’affection que vous avez pour elle, c’est de la crainte et du respect. Vous vous trouvez ignorante, petite auprès d’elle ; elle en est arrivée, en
captant tous les jours davantage votre confiance, en s’immisçant dans votre vie, en exerçant sur votre esprit une sorte de pression lente et continue, à vous
obliger à ne voir que par elle,
à vous ôter la conscience du juste et de
l’injuste, à vous dominer, à vous asservir
à ses caprices.
Parfois on essaye de
secouer le joug ; on ne peut y parvenir :
mille liens indissolubles, mille souvenirs
tyranniques vous enchaînent l’une à l’autre, jusqu’à la sortie du couvent. A cette époque seulement les liens se brisent, les souvenirs s’effacent…
à moins pourtant, ajouta-t-elle en baissant la voix, que le hasard, ou plutôt la fatalité, vous réunisse de nouveau, et alors…
- Alors ?
demandai-je.
- Alors,
murmura-t-elle, on est perdue… !»